Emmanuel Macron au NAWF Women Entrepreneurs: l’entreprenariat est une façon de choisir sa vie

Par Nadine Abou Zaki


“Tu es disponible mercredi à une heure ? Nous organisons un déjeuner avec Emmanuel Macron à Tawlet (Mar Mikhael) durant sa visite au Liban en tant que candidat à la présidentielle.” C’est avec surprise que je reçois le message d’Aurélien Lechevallier, responsable de la campagne électorale de Macron. Annuler mon cours de philosophie à l’Université ou répondre positivement à son invitation? Tant pis, mes élèves seront en congé ce jour-là! C’est la tentation de déjeuner avec Macron qui prend le dessus.

Emmanuel Macron… Je voulais en savoir davantage sur celui qui était encore il y a trois mois candidat à l’élection présidentielle – avant son triomphe aujourd’hui. Recherches rapides. Je m’arrête sur une information à laquelle je ne peux être indifférente : des études de philosophie. Philosophie et politique... En effet, que vaut la philosophie sans la confrontation au réel ? Et que vaut le réel sans son rapport au concept ? Le rôle de la philosophie se limiterait-il à discourir sur un ailleurs plus ou moins abstrait et métaphysique ? La philosophie ne prend-elle pas, au contraire, son sens dans la relation à l’autre, l’expérience du plus quotidien, du plus élémentaire, du plus rudimentaire ? Et qu’en est-il d’Emmanuel Macron ? Serait-il un philosophe au pouvoir ?

Ah que c’est bon de renaître !

En tout cas, un candidat non conformiste d’après ce qui m’est d’abord apparu ! Notamment son mariage avec une femme de 24 ans son aînée, Brigitte. Brigitte, ou l’amour impossible. Brigitte ou la transgression de l’impossible. Une histoire entre un lycéen de 15 ans et sa professeure de lettres. “Ah que c’est bon de renaître !” s’exclame Macron pour la représentation de fin d’année durant l’atelier de théâtre qu’ animait Brigitte. La rencontre avec Brigitte, n’étaient-ce pas déjà les prémices de la relation maître-disciple dont l’initiation philosophique est l’illustration par excellence ? Et est-ce un hasard que Macron ait aimé une femme de lettres, lui qui, plus jeune, avait écrit un roman non publié intitulé “Babylone, Babylone” ? Ne rêvait-il pas de devenir écrivain lorsqu’il s’évadait dans les livres de Gide ou Cocteau, invité à la lecture par sa grand-mère qui lui a fait découvrir Molière, Racine ou Camus ? Brigitte n’a-t-elle pas conduit ses pas dans le monde des livres que lui avait ouvert sa grand-mère, et stimulé son esprit critique ?

Macron se familiarise avec la cuisine libanaise

C’est ainsi que je suis arrivée au déjeuner. Avec la curiosité de rencontrer un original. Nous étions une dizaine, Français et Libanais, y compris des représentants de la société civile. Nous avons longuement discuté debout dans l’attente de Macron à Talwet. Cette rencontre dans un restaurant libanais traditionnel s’annonçait informelle. Macron a fini par arriver. Il a salué chacun de nous par une poignée de main et un regard prolongé. Il s’attendait à ce que l’on se présente. L’assurance du geste, cette présence dans le regard lui étaient-elles naturelles, ou n’étaient-elles que le produit de cette nouvelle mode de “media trainings” qu’on fait aux politiciens ?

Nous nous sommes installés à table pour nous diriger ensuite vers le buffet et nous servir. Des cuisiniers et cuisinières se tenaient là et avaient préparés chacun des plats de leur région. C’était l’occasion pour les télévisions françaises présentes de prendre des photos de Macron dans un cadre inhabituel, et une ambiance agréable de rires, des sourires. C’est aussi dans cette ambiance chaleureuse, spontanée et conviviale que s’est déroulé le déjeuner.

Les personnes assises autour de Macron lui racontaient chacun à son tour leurs activités. Cet homme jeune et souriant écoutait avec une attention aigue. Il était pleinement présent. L’esprit vif. Ses conversations avec les invités reflétaient ses orientations politiques, en particulier celles qui proviennent de sa modération et de son respect des opinions d’autrui. Un homme qui a du flair. Qui sait donner. L’une des cuisinières, une femme voilée, est venue vers Macron lui offrir des olives de sa région. Ce représentant de l’élite française lui a manifesté une attention particulière et exprimé un sens développé des relations humaines. C’est l’image d’un Macron ouvert à l’altérité qu’il voulait donner. Un Macron qui voulait donner une image qui annonce un avenir prometteur avec le Liban, et avec la région.

 

Je ne pouvais m’empêcher de penser en le regardant que se présenter à 39 ans à la présidence de la République Française, c’est nécessairement avoir de l’audace et un esprit d’entrepreneur. C’est oser. Risquer. Avoir du flair. Et surtout avoir le courage d’espérer. C’est ce qu’il a manifesté depuis sa plus jeune jeunesse, en n’ayant pas peur de transformer ses rêves en réalité. D’une volonté tenace et d’une assurance certaine.

Mais surtout, Macron a compris qu’on vivait la fin d’un vieux monde. Il a compris que les partis politiques traditionnels étaient en état régression. C’est sur cela qu’il a misé. En marche! Il a décidé d’aller vers l’avant, vers un nouvel avenir.

Les Français ont prouvé qu’ils pouvaient voter pour un candidat jeune, capable de relever les défis et porter les espoirs d’une nouvelle génération, avec ses nouvelles attentes. C’est en cela que Macron incarne un nouveau visage de la France.

L’ambition des jeunes loups

Macron est si attentif à tous les détails qu’au moment où on lui annonce qu’il doit quitter le restaurant pour un prochain rendez-vous, il s’adresse à moi : “Et vous ?” (nous n’avions pas eu l’occasion de discuter). Je viens alors m’installer près de lui. Ayant appris son intérêt pour les start-up, je lui ai demandé de lui parler de mon activité en tant que fondatrice et présidente de NAWF Women Entrepreneurs, organisé par le magazine Al Hasnaa. De notre volonté, à travers ce forum, d’avoir un rôle dans la construction de la réalité de la nouvelle femme. Une femme qui crée une nouvelle manière d’aborder sa féminité à l’ère de la mondialisation et des nouvelles technologies.Qui ravive le dialogue avec elle-même pour se réinventer. Une femme qui se choisit librement, peu importe ce qu’elle choisit. Une femme qui ose se dire. Je lui explique la visée que s’est proposée le forum dès le début, – et ce depuis 10 ans – : oeuvrer à promouvoir une image contemporaine, donc positive et nouvelle, de la femme comme agent de changements sociaux, économiques et politiques. Macron m’a exprimé un intérêt très vif face à la question de l’entreprenariat au féminin.

N’avait-il pas lui-même intégré l’idée, – développée par Paul Ricœur –, d’une “capacité des individus à libérer des potentialités ? Rejetant le déterminisme sociologique, et ayant foi dans la liberté de l’individu, n’est-il pas lui-même un entrepreneur qui a su saisir les opportunités pour tracer sa propre destinée ? N’accorde-t-il pas une importante particulière à l’initiative, à la responsabilité de l’individu et à l’inventivité personnelle ? C’est ainsi qu’il s’est décrit “porté par l’ambition des jeunes loups de Balzac”.

On presse Macron de quitter le restaurant pour un autre rendez-vous. Il se lève. C’est alors que je sors mon magnétophone et saisis l’occasion de lui poser ces brèves et rapides questions pour la revue féminine et sociale Al Hasnaa.

  • Qu’en est-il de l’entreprenariat ?

- Pour toutes celles et ceux qui sont bloqués parfois dans la société, l’entreprenariat est une des voies permettant de s’émanciper. Et en France c’est vrai : des femmes, des minorités, de toutes celles et ceux qui sont en situation défavorisée et les femmes ne sont pas une minorité en France, c’est 53 % du corps électoral. Pour toutes celles et ceux qui sont bloqués par le système, l’entreprenariat est une façon de se libérer, c’est une façon de choisir sa vie. C’est une vraie forme d’émancipation.

  • 84% des candidats aux primaires droite et gauche confondus sont des hommes. Une place pour la femme dans votre programme ?

- La rénovation politique, c’est une transformation en acte. J’ai annoncé la semaine dernière les conditions pour être candidat aux législatives “En marche !” : 50% de candidats nouveaux qui ne sont pas parlementaires aujourd’hui, des conditions de probité, des conditions de pluralisme politique d’adhésion à mon programme ; il y aura 50 % de candidates femmes partout, et 50% de manière équitablement répartie dans les circonscriptions gagnables également. Donc ce n’est pas un programme, c’est un acte.

  • En se basant sur votre programme, comment comprenez-vous le passage de la philosophie à l’activité politique ?

- La philosophie a toujours nourri ma pratique, parce que c’est la philosophie qui m’a fait réfléchir sur la chose politique et la chose publique. J’ai fait de la philosophie politique pendant plusieurs années. C’est justement ce travail philosophique qui nourrit au quotidien. Car faire de la politique, c’est un art de l’exécution de chaque minute et en même temps du temps long.

 

Macron a en effet été inspiré par Étienne Balibar. Il a suivi son enseignement pendant quelques années et rédigé sous sa direction un travail sur Machiavel. C’est à ce moment qu’il a abandonné la métaphysique pour la philosophie politique.

Le Candidat du Centre

Le triomphe d’Emmanuel Macron, nouveau président de la France, n’est pas un événement commun aux niveaux français et européen. Le fait qu’il ait amassé environ 66% des votes des Français renferme beaucoup de connotations, ainsi que des possibilités.

Certains vont même plus loin dans leur évaluation de la victoire de Macron, la considérant comme un tournant décisif pour l’établissement de la VIème République, mais elle est aussi un tournant pour ce qui est du sort de l’Union Européenne.

Le nouveau dans la victoire de Macron ne provient pas uniquement de son âge en tant que plus jeune Président de la France, mais aussi du fait qu’il a percé le binôme partisan qui règne sur la France depuis des décennies.

Les analystes ont beau se mettre d’accord sur le fait que les élections françaises ont été fondées sur deux programmes diamétralement opposés, certains ont tenté d’insinuer que le Président Emmanuel Macron n’avait pas de programme, seulement des idées qui étaient un “mélange” dérivé de la Gauche et de la Droite. En réalité, le programme du Président se fonde sur une idée philosophique connue sous le nom de “libéralisme égalitaire”. Avant de commencer son parcours bancaire, et avant d’assumer les responsabilités offertes par le Ministère de l’Economie, Macron a travaillé longtemps dans le domaine philosophique, en extrayant le concept de “libéralisme égalitaire”. Ceci lui a valu la reconnaissance de Paul Ricœur dans la préface de son livre, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli. Ricoeur écrit : “Emmanuel Macron à qui je dois une critique pertinente de l’écriture et la mise en forme de l’appareil critique de cet ouvrage”. Le programme électoral du Président Macron et sa pensée philosophique sont inspirés de deux autres philosophes : John Rawls (1921-2002), et Amartya Sen (né en 1933). Le premier est considéré comme le plus grand philosophe politique du XXème siècle, et le dernier a reçu le Prix Nobel d'Economie en 1998.

Macron, assistant de Paul Ricoeur ?

Macron affirme que Paul Ricœur (1913-2005) l’a rééduqué sur le plan philosophique. Il est d’ailleurs souvent présenté comme son ancien assistant. Mais Macron s’inscrit-il pour autant dans la pensée de Paul Ricoeur ? Certains intellectuels s’agacent de cette image du philosophe devenu banquier, notamment Michel Onfray qui dit qu’il a seulement dû “corriger les épreuves d’un de ses livres”. La philosophe Myriam Revault d’Allonnes, ancienne élève et l’amie de Paul Ricoeur, voyait peu de rapport entre Ricoeur, penseur du conflit, et Macron, homme de la synthèse. Emmanuel Macron n’aurait été qu’assistant éditorial de l’ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli (Seuil, 2000)et non pas “l’assistant”  de Paul Ricoeur à l’université.

Face à ceux qui critiquent l’image du philosophe au pouvoir, Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit de 1988 à 2012, loue cet ancien élève brillant qu’il a compté parmi les membres de son comité de rédaction pendant des années. Macron est selon lui d’une “solidité philosophique incontestable. De même, Marc-Olivier Padis, le directeur des études du think-tank de gauche Terra Nova, loue l’“agilité intellectuelle”, et confirme la véracité de sa relation avec Ricoeur.